La question de l’inclusion des femmes dans des métiers traditionnellement masculins, comme dans le domaine de la sécurité incendie, est certainement de plus en plus présente dans la conscience sociale. Des progrès se font entrevoir, mais il demeure qu’un maigre 4% de femmes effectuaient la profession de pompière en 2018, selon une étude du Conseil du statut de la femme. Pour comprendre cette très faible présence des femmes en sécurité incendie, la première étape était de répertorier et de lire les recherches scientifiques. Mon stage au Centre RISC a donc eu comme objectif de développer une vision nouvelle sur la question de l’employabilité et de la rétention des femmes en sécurité incendie, afin de pouvoir offrir un positionnement critique sur les défis du recrutement des femmes dans ce domaine.

Étant une femme moi-même et puisque je suis étudiante de troisième année en anthropologie, j’ai la chance d’avoir à offrir un point de vue solidement ancré dans l’aspect social de l’enjeu de recherche, en même temps que ma vision soit familière avec les embuches qu’une femme peut rencontrer lorsqu’elle tente de se frayer un chemin dans un monde masculin. De plus, l’anthropologie est un domaine qui ratisse large et donc qui a la possibilité d’aborder une même question sous plusieurs angles ; concernant le recrutement des femmes en sécurité incendie, vous savez probablement à quel point les perspectives à prendre en compte sont nombreuses !

Cet article se veut un résumé critique des recherches qui ont été effectuées dans le cadre de mon stage. Quatre constats principaux dirigeront la réflexion. Le premier constat porte sur l’aspect physique du métier de pompier.ère ; le second constat concerne l’équipement de protection ; le troisième constat aborde l’aspect psychologique du travail ; le quatrième et dernier constat adresse le manque de données de recherches et les conséquences reliées. En guise de conclusion est proposée une piste d’amélioration axée sur la force des services incendies : l’équipe.

Constat 1 : Un travail physique, mais réalisable

Le premier fait global que j’ai pu constater au fil de mes recherches est la forte majorité masculine du milieu de la sécurité incendie. Traditionnellement, le métier de pompier était réservé aux hommes, comme beaucoup d’autres métiers physiques. Mais les temps ont changé et on a constaté que les femmes peuvent elles aussi effectuer du travail physique et ce, sans nécessairement se blesser plus que les hommes. À ce propos, un document de la National Fire Protection Association (NFPA) démontre en pourcentage que les blessures chez les femmes et les hommes en scène d’intervention s’équivalent statistiquement, à quelques points d’écarts près.[1] Un autre tableau présente les blessures qui ont été subies par les femmes et les hommes selon l’endroit de l’incident ; les femmes seraient plus enclines (près de 10 % de plus) à se blesser à l’extérieur des bâtiments[2]. Serait-ce dû à l’équipement mal ajusté ?

Constat 2 : Des vêtements de protection mal adaptés

En ce sens, le second constat qui se démarque dans la littérature, tant au Québec qu’ailleurs au Canada et aux États-Unis, est le fait que les pompières doivent travailler avec des vêtements de protection, le plus souvent, mal adaptés. Les équipements qui ne sont pas ajustés peuvent causer des blessures physiques. Sur le long terme, ceci peut poser un problème assez sérieux. La chercheuse Meredith McQuerry et ses collègues ont d’ailleurs produit un article sur ce sujet, exposant finalement qu’environ quatre fois plus de femmes que d’hommes ont rapportées avoir des problèmes avec l’ajustement de l’équipement. Les chercheuses mettent aussi en lumière qu’un risque accru de blessures peut être encouru chez les pompières par le fait, entre autres, que les vêtements (par exemple les gants, les bottes) sont mal ajustés et que ceci limite la précision des mouvements, et donc de l’intervention.[3]

Beaucoup de casernes n’ont pas, ou ont très peu, d’équipements adaptés à la stature généralement plus petite des femmes, ce qui les met à risque de blessures plus élevé que leurs collègues masculins. Aussi, le travail à effectuer est significativement plus difficile à accomplir, en raison de cet équipement mal adapté qui vient encombrer les mouvements. Ce problème est d’autant plus présent dans les services des petites municipalités, où les ressources sont limitées pour acheter du matériel de protection. En conséquence, celui-ci devra être partagé entre tous les membres… Tout un défi lorsque le service ne compte qu’une ou quelques femmes !

Constat 3 : Des risques de blessures aussi psychologiques

Dans le même sens qu’un équipement non ajusté puisse diminuer la protection physique, les conséquences peuvent aussi être psychologiques : imaginez-vous devoir foncer dans un immeuble en flamme avec un jet d’eau qui glacera le sol en sachant que vos pieds sont dans des bottes trop larges et trop grandes. Est-ce que votre anxiété augmente ? Avez-vous une peur accrue de chuter et de vous blesser ? Plus encore, et plus spécifiquement pour les femmes, vivre quotidiennement en caserne dans un environnement presque entièrement masculin peut aussi entrainer des questionnements et de l’anxiété. Lorsqu’un seul vestiaire est disponible en caserne, est-ce qu’une femme pourra demander de prendre sa douche en premier, seule, sans être mal perçue, ou sans penser d’elle-même qu’elle est égoïste ? Accepter de la prendre en dernier, seule, signifie qu’elle sera toujours celle qui portera le plus longtemps les contaminants en retour d’intervention, ce qui augmenterait les risques sur sa santé, les risques de cancers, etc. Les exemples de facteurs qui pourraient déclencher un impact psychologique pour une pompière sont encore nombreux.

Constat 4 : La rareté des données scientifiques et leurs impacts

Pratiquement tous les textes et documentaires que j’ai pu parcourir mettaient en évidence la problématique relative au manque de données, donc de recherches, sur les femmes pompières. Un grave problème réside justement ici : un manque de recherche sur les femmes en sécurité incendie mène à des équipements et à des environnements de travail moins bien adaptés aux membres de l’équipe (inclusivement des femmes). Une conséquence ricochet de ceci mène à une augmentation des pressions et des sources de stress associées au travail, et donc finalement à une moins bonne insertion et rétention des femmes dans les casernes.

Ajoutons à ceci la très faible représentation des femmes dans les images médiatiques de la profession. L’image du pompier héros, homme, blanc, a aussi fort possiblement de l’influence sur la perception de la profession et sur le taux très faible d’inscription de femmes dans les programmes d’étude en sécurité incendie. Cependant, des femmes d’ici et d’ailleurs pavent le chemin et contribuent à encourager les filles à envisager, à poursuivre, une voie qui mérite d’être explorée, tout en changeant cette image dominante du pompier homme-blanc. Au Québec, notons le documentaire émouvant « Femmes des casernes ».[4] Des sites internet et initiatives diverses contribuent aussi à documenter et à stimuler la rétention des femmes en sécurité incendie : « Les filles ont le feu sacré ! », une initiation destinée aux jeunes femmes, offerte au Collège Montmorency[5] ; la plateforme en ligne « Women in Fire », qui constitue un réseau de données éducatives, de support et d’encouragement moral, et surtout à garder la voie ouverte sur cette conquête des services incendies par les femmes.[6]

Piste de solution : Mettre le focus sur l’équipe

Je trouve cependant crucial de terminer cet article sur ce qui m’a apparu comme étant l’aspect le plus caractéristique du domaine de la sécurité incendie : le sentiment d’appartenance, l’équipe, la solidarité, la « famille » que constitue une caserne, bref le « nous ». Une caserne est pour moi un endroit synonyme de protection, mais aussi de solidarité. Les membres de cette équipe s’entraident parce qu’ils doivent ensemble affronter des situations critiques et délicates. Le « nous » y est bien plus important que le « je ».

Cependant, une famille est une cellule sociale dynamique, dans laquelle des individus s’ajoutent et sont ajoutés au gré des mariages, des naissances, des prises de décision. Les nouveaux font leur place, mais les anciens leur font aussi une place. L’insertion des femmes est, sur ce point, comparable à celle de toutes les recrues. Il faut inclure les femmes aux équipes non pas en les accueillant comme femmes,[7] mais comme membre de l’équipe, membre du « nous ».

Par exemple, dans l’équipe (mixte) de hockey avec laquelle je joue, tous les joueurs et joueuses ont des rôles à remplir. C’est seulement si chacun.e fait sa part que le travail sera accompli, que la partie sera gagnée. Si mes collègues masculins négligent de me faire des passes (je suis attaquante) parce qu’ils n’ont pas confiance que je pourrai mettre la balle dans le but, ils manquent plusieurs occasions : que l’équipe marque un but ‘payant’,[8] de faire un beau jeu, de tisser des liens de confiance, etc. En négligeant de remplir son rôle, la structure même de l’équipe est affaiblie. Bref, le point est qu’une bonne équipe, constituée de bons joueurs, prend en considération les forces de chacun, et (surtout) aussi leurs faiblesses.

Une équipe, si elle en est vraiment une, agit en équipe.

Sophie Thibodeau

Étudiante au baccalauréat en anthropologie, Université de Montréal

Stagiaire au Centre RISC

 

[1] Campbell, R. & National Fire Protection Association (NFPA), 2017, p.11-12.

[2] Ibid.

[3] McQuerry, M., C. Kwon & H. Johnson, 2019.

[4] Radio-Canada. Femmes des casernes. Québec, 2020.

[5] Collège Montmorency. Les filles ont le feu sacré! , 2018.

[6] Women in Fire [2020].

[7] Sauf peut-être au niveau de l’équipement, car il y a évidemment des ajustements morphologiques qui devraient être faits, question de sécurité et de prévention de blessures physiques et psychologiques.

[8] En plus, dans notre ligue, un but compté par une femme compte pour 2 points plutôt qu’un, pour stimuler les échanges et la participation de tous.

 

BIBLIOGRAPHIE

Campbell, R. & National Fire Protection Association (NFPA). Patterns of Female Firefighter Injuries on the Fireground. NFPA Research, Data and Analytics Division, 2017. En ligne au : <https://www.nfpa.org/News-and-Research/Data-research-and-tools/Emergency-Responders/Patterns-of-Female-Firefighter-Injuries-on-the-Fireground>.

Collège Montmorency. Les filles ont le feu sacré! . Québec, 2018. En ligne au : <https://www.cmontmorency.qc.ca/les-filles-ont-le-feu-sacre/>.

McQuerry, M., C. Kwon & H. Johnson. « A critical review of female firefighter protective clothing and equipment workplace challenges ». Dans Research Journal of Textile and Apparel, Vol 23, No 2, 2019, p. 94-110. En ligne au : < https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/RJTA-01-2019-0002/full/html>.

Mercier, Hélène et Gazette des femmes. Métiers d’urgence : assez fortes pour l’emploi. Québec, Conseil du statut de la femme, 2020. En ligne au : <https://gazettedesfemmes.ca/15526/metiers-durgence-assez-fortes-pour-la-job/>.

Radio-Canada. Femmes des casernes. Québec, 2020. En ligne au : <https://ici.tou.tv/femmes-des-casernes>.

Women in Fire. [2020]. En ligne au : <https://www.womeninfire.org>.

Women in the Fire Service et Federal Emergency Management Agency [FEMA]. Many Women Strong : A Handbook for Women Firefighters. Madison, Wisconsin, 1999. En ligne au : <https://www.womeninfire.org/wp-content/uploads/2014/04/fa-195.pdf>.